Hasni, le combat d’un malvoyant contre l‘hôpital aveugle

Hasni, le combat d’un malvoyant contre l‘hôpital aveugle – Maia Geradze

Ses peintures ornent les murs de toutes les associations où il passe pour manger, laver son linge, prendre son ou participer à divers ateliers créatifs (cuisine, ciné-club, sorties culturelles et sportives...). Hasni est un Algérien souriant d’une cinquantaine d’années qui vit à Bruxelles. Il est sans papiers et sans domicile. 

Au printemps 2022, il disparaît de notre service social pour subir une opération de la cataracte. Une intervention banale censée durer une vingtaine de minutes. Mais les choses tournent mal et nous le retrouvons, un mois plus tard, avec un seul œil valide qui s’est infecté lui aussi. Et pour cause, l’hôpital et les médecins qui n’ont pas voulu prendre au sérieux sa situation et ses conditions de vie qui en font une personne particulièrement vulnérable... 

Aujourd’hui, ses dessins de la mer sont toujours aussi beaux, peut-être plus agités, mais il ne conduira plus jamais de poids lourds sur les grandes routes. Même s'il obtient un jour un permis de travail, son permis de conduire ne lui sert plus à rien... 

Le chirurgien du CHU St-Pierre qui l’a opéré pensait qu’après cette erreur médicale rien ne lui arriverait. Mais nous avons décidé d’accompagner Hasni à son rendez-vous pour l’interpeller : « On ne perd pas un œil après une opération de la cataracte de nos jours. Il y a forcément un responsable, et ça ne peut pas être le patient « qui bougeait sa tête pendant l’opération » comme indiqué dans le dossier médical. » Les yeux du chirurgien ont changé d'expression en entendant cela. Mais avant de saisir le Fonds des Accidents Médicaux, nous nous sommes adressés aux services de médiation de l’hôpital. 

Extrait de la lettre adressée à la médiatrice du CHU St-Pierre : 

  • « Il a de nombreuses questions concernant l’opération et les soins reçus, questions qu’il n’a jamais pu poser au médecin (…). Je m’adresse à vous pour nous accorder (je viendrai avec Hasni) un rendez-vous, pour que Hasni puisse obtenir des réponses, une écoute, une copie de son dossier médical et éventuellement une rencontre avec le chirurgien, si nécessaire. Voyons ensemble comment nous pourrions l’accompagner dans ce moment très difficile. » 
  • Qu’attendez-vous de la part de l’hôpital ? nous demande la médiatrice. 
  • Qu'attendons-nous d’un hôpital public et universitaire qui n’a pas jugé nécessaire d’hospitaliser un sans-abri avant qu’il ne revienne avec un œil infecté et perdu à jamais ? Pour un patient habituel, une telle intervention ne nécessite pas d’hospitalisation, mais qu'en est-il pour une personne vivant dans la rue dans de mauvaises conditions d’hygiène ? Ce manque de prise en compte de la situation socio-sanitaire du patient a compromis définitivement son avenir et l’a conduit à un tournant irréversible. 

Une excuse, un regret, un geste réparateur, un dédommagement, et même un projet d’accompagnement. Rien de tout cela n’a eu lieu. Un refus sec et net, c’est tout. Alors nous nous sommes tournés vers l’INAMI, le Fonds des Accidents Médicaux. Seulement 5 % des patients sont reconnus comme victimes et indemnisés par ce fonds. Depuis l’introduction de la demande, le dossier a changé trois fois de gestionnaire. La vision de l’œil restant de Hasni est très dégradée et, selon le médecin de l’hôpital Erasme, le risque de le perdre est très élevé. 

Depuis, Hasni a trouvé un domicile, grâce à une avocate très engagée et a obtenu un droit au revenu d’intégration (CPAS), et il se bat pour ses droits et sa place dans ce monde peu accueillant. Bientôt (après 2,5 ans), Hasni se présentera à une expertise contradictoire ophtalmologique à Anvers. D'un côté, un chirurgien muni d’un bon avocat, l’assurance et la direction de l’hôpital universitaire à ses côtés ; de l'autre, un ex-sans-abri presque aveugle et une travailleuse sociale. 

Une histoire digne d’une série Netflix, dont on ne connaît pas encore la fin...