« Il n’y a jamais personne qui fait ça » - Retour sur le projet d’été du quartier Querelle – Jonas Guyaux et Jean-Nicolas Kaltvenzeff
Cet été, un projet à vocation communautaire a vu le jour dans le quartier Querelle situé dans les Marolles. Il a principalement rassemblé de jeunes adultes (de 17 à 26 ans) et des femmes (d’une cinquantaine d’années et plus). Même si on ne peut pas dire que ces publics se soient véritablement mélangés, des échanges rares en temps normal ont pu avoir lieu. Les « au fait, ils sont gentils » des personnes âgées ou les « madame on ne vous oubliera pas » des jeunes laissent entrevoir une méthode de travail social qui crée des ponts entre différents publics et cassent les idées reçues de part et d’autre. Que cela donnerait-il si les politiques, à la place des réponses sécuritaires et violentes, investissaient massivement dans ce type d’initiative ?
Le projet est né avec le “groupe logement” du quartier Querelle (un collectif d’habitant·es qui se mobilise pour le dédommagement des problèmes rencontrés dans leurs appartements). C’est là que Jean-Nicolas, Relais d’Action de Quartier dans les Marolles, a pu mieux connaitre la réalité du territoire. Lors des réunions, un sujet revenait régulièrement sur la table : le sentiment d’insécurité des habitant·es.
« Ce sentiment d’insécurité chez les habitants je le ressentais lorsqu’on discutait du logement. À chaque fois, la question de l’insécurité était présente. Et nous on ne savait pas trop comment la saisir... »
Quelques temps plus tard, l’équipe de l’Entraide des Marolles décide, avec l’aval des habitant·es, de répondre à un appel et de construire un projet d’occupation de l’espace public. L'idée de venir tous les mercredis, jeudis et vendredis d’été sur la place au bas des immeubles prend forme. Quant à la méthode, elle correspond à celle du travail communautaire : les projets se construisent collectivement avec ceux et celles qui le souhaitent.
« L’idée était de développer des dynamiques de vivre ensemble, d’amener des discussions et potentiellement, si les habitant·es étaient preneurs·euses, c’était aussi améliorer l’espace public. Par exemple construire du mobilier urbain ou des choses comme ça. Donc l’objectif c'était de créer un espace de rencontre entre les personnes pour créer du lien mais aussi, dans la vision du travail communautaire, pouvoir tirer des fils et créer des dynamiques à plus long terme avec les personnes motivées. »
Une dynamique se met alors en place. L’équipe des BRI-Co[1] de la FdSS vient soutenir le projet en amenant un renfort logistique et réflexif. Les “Ateliers du geste” organisent des chantiers menuiserie auxquels les jeunes participent afin de construire ou améliorer le mobilier urbain de la place. Les femmes présentes depuis le début du projet proposent de lancer une auberge espagnole tous les jeudis. Des barbecues prennent place et ramènent un nombre important de personnes du quartier. Toutes ces activités sont portées par les habitant·es.
Dans ce contexte, des interactions entre des publics peu habitués à se côtoyer émergent et même si cela semble très timide les situations de rencontre laissent entrevoir les bénéfices de ce genre d’initiative.
« Je pense que ça peut venir travailler le sentiment d'insécurité mais c’est très très lent. Ce qu’on a fait c’est une expérimentation qui a donné de beaux espoirs, il faut qu’on continue. Mais les femmes âgées et les jeunes ont partagé un espace proche... Je ne dis pas qu’ils se mélangeaient mais il y a eu des moments intéressants : une femme qui apporte des assiettes aux jeunes qui lui répondent : “Madame on ne vous oubliera pas, si vous avez des problèmes vous venez nous chercher”. Ou bien des femmes qui disent “Mais c’est chouette maintenant les jeunes on les connait, on les rencontre, on voit qui ils sont. Si on les croise le soir on saura qu’ils sont très gentils. Il y avait souvent cette phrase “au fait ils sont très gentils”. »
Ces “non-rencontres” quotidiennes racontent aussi la manière dont le politique a décidé de “gérer” les quartiers de logements sociaux : En créant peu de lieux et de possibilités de rassemblements dans l’espace public ; En apportant une réponse sécuritaire aux problèmes de l’insécurité ; En alimentant, de ce fait, des dynamiques de méfiances entre les habitant·es du quartier. Dans ce sens, construire du mobilier urbain et recréer des dynamiques collectives peut être vu comme un acte de résistance.
« Ce que ça veut dire de notre société, c’est qu’on nous fragmente. On essaye de nous atomiser. Le mobilier urbain qui est mis en place actuellement est pensé pour ne pas être convivial, pour éviter les rassemblements. C’est un acte de résistance de dire, en fait, on veut être ensemble. Il y a plein de gens dans les immeubles, qui vivent au même étage, qui ne se connaissent pas. »
« On met toutes des personnes qui ont des conditions de vie difficiles ensemble (pauvreté, logement, stigmatisation...). Bien sûr qu’il va y avoir de l’insécurité. Et puis, tous les jours, il y a de la provocation policière. Ce sont des situations banales de quartier mais révoltantes... Les réponses politiques, ça n’est pas d’essayer de comprendre les situations (les raisons). On sait par quoi sont motivées les carrières déviantes ! Il faut arrêter de dire que les causes sont individuelles. Bien sûr la responsabilité individuelle existe mais les causes sont principalement structurelles. On ne veut pas voir la réalité en face. Moi je me demande vraiment ce que ça donnerait si les politiques valorisaient vraiment des réponses sociales. »
Pour la FdSS, il est essentiel que ce projet perdure. Le travail communautaire ne peut s’envisager que sur du long terme. D’autant plus avec des publics régulièrement stigmatisés, comme les jeunes du quartier Querelle. Il faut le temps de construire la confiance, de l’entretenir et de comprendre le fonctionnement du public en question. Il faut aussi pouvoir se mouiller, agir concrètement quitte à s’affranchir de certaines barrières administratives ou légales. Que ça soit pour les barbecues ou le mobilier urbain, le choix pris a été de ne pas attendre d’avoir des autorisations mais d’agir...
« Il y a une méfiance vis-à-vis des associations dans le quartier. “Qu’est-ce qu’ils font pour nous ?”. Dans le projet de cet été, ce qu’ils aimaient bien et qu’ils disaient c’est “là tu fais quelque chose pour nous ! Il y a un barbecue gratuit pour tout le quartier. Il n'y a jamais personne qui fait ça. »
« Il y a ça mais aussi la question du temps. Là on a pris deux mois essentiellement pour pouvoir rencontrer les gens. Certaines associations viennent pour faire une animation d’une après-midi. Comment peuvent-elles la faire correctement si elles ne connaissent pas les gens ? Et qu’est-ce que ça va apporter aux habitant·es ? »
Pour la suite, certains jeunes ont manifesté l’envie de continuer à s’investir dans le quartier via le projet de mobilier urbain ou l’organisation d’un camp... Mais l’idée serait aussi de faire le lien avec ce qui se passe déjà dans les Marolles pour qu’ils puissent intégrer des dynamiques existantes (par exemple la construction d’un local pour les jeunes). Le projet est à suivre mais il est déjà intéressant de noter l’intérêt de cette méthode de travail social qui s’appuie, en partie, sur une démarche anthropologique : immersion longue, compréhension et connaissance des publics visés, projets construits à partir des personnes concernées...
[1] Bureaux de Recherches et d’Investigations sur les COmmuns