Kenia avait six ans lorsque sa maman, Elia, a pris la décision difficile de quitter le Brésil et ses trois enfants pour venir en Europe et essayer de leur offrir un meilleur avenir. Vingt ans plus tard, elle a décidé de rejoindre sa mère en Belgique pour y trouver du travail. Anaïs, RAQ à Cureghem, l’a accompagnée dans ses démarches. Elle nous livre ici son récit, entre enthousiasme de l’arrivée et violences institutionnelles.
« Là-bas, la vie est très difficile », explique Elia. « Il est difficile de trouver du travail, et quand on en trouve, la rémunération est souvent très basse ». Travailler en Europe lui a permis de subvenir aux besoins matériels de sa famille, de financer les études de ses enfants et de les aider dans leurs avenirs. « C’était un grand sacrifice, mais ça en valait la peine. Aujourd’hui, je sais que c’était la bonne chose à faire » confie-t-elle.
Lorsque Kenia termine ses études d’architecte et une formation de yoga « pour aider toutes les personnes qui en ont besoin », elle décide à son tour de tout laisser derrière elle pour rejoindre sa mère en Belgique. Kenia exprime les aspects positifs de ce départ : « Je suis contente ici. C’est très différent du Brésil. Je pense que la diversité des personnes, c’est très bien. Au Brésil, je vivais dans une petite ville, ici c’est une grande ville. (...) Il y a beaucoup d'endroits différents, de beaux parcs aussi, je pense que c’est très bien. » Mais il y a évidemment des aspects plus difficiles : « Ce qui me rend triste, c’est ma famille, mon papa, ma sœur, mon frère. La cuisine aussi, c’est très différent de la Belgique, les saveurs. Le climat aussi, le temps ici est très froid (...) mais maintenant je suis contente parce que je suis avec ma mère (...) je pense que dans la vie, il y a des bonnes et des mauvaises choses. C’est bien de choisir les choses qui vont nous rendre heureux. »
Lorsque Kenia est arrivée en Belgique, elle tenait à s’intégrer et à mettre toutes les choses en place pour y parvenir. C’est la raison pour laquelle, malgré le peu de temps passé en Belgique, elle sait déjà tenir une conversation en français. On constate directement son enthousiasme et sa volonté de construire sa vie ici. Cependant, elle a dû passer par des moments très difficiles concernant son titre de séjour…
Quand Kenia est arrivée, elle a d'abord reçu un visa de touriste pour une durée de trois mois. Ensuite, elle a introduit une demande de regroupement familial. Pendant sept mois, Kenia a pu obtenir son attestation d’immatriculation, appelée "carte orange". Il s'agit d'un titre temporaire qui ne garantit pas l'installation permanente dans le pays, mais qui ouvre certains droits tels que l'accès aux soins de santé, la possibilité d'avoir un contrat de travail et l'accès au logement.
En novembre dernier, tout a failli s'effondrer pour Kenia et sa mère. Au début du mois, elle reçoit un courrier de la commune lui indiquant qu'elle ne s'est pas inscrite pour suivre un parcours d'accueil "primo-arrivant". Si elle ne le fait pas dans un certain délai, elle recevra une sanction administrative, c'est-à-dire une amende entre 100 et 2500 euros. C'est évidemment la panique : elle ne sait pas de quoi il s'agit et n'a jamais reçu d'information à ce sujet auparavant. Très vite, nous nous rendons dans un service agréé pour effectuer son inscription. Une travailleuse sociale très accueillante nous reçoit et nous explique les démarches et l'ensemble de ce fameux parcours pour primo-arrivant (tests et cours de français, cours de citoyenneté pour connaître ses droits et devoirs et un accompagnement psycho-social). Lorsque cette dame essaie d’inscrire Kenia, sa carte orange ne passe pas, comme si elle n'était plus valable alors qu’il reste trois jours avant son renouvellement.
Nous fonçons directement à la commune pour comprendre la situation. Nous attendons longtemps, très longtemps. Je ne peux malheureusement plus attendre avec elle. Finalement, Kenia apprendra qu'il n'y a pas encore eu de décision du comité et qu'il faudra revenir le lendemain ou le surlendemain pour vérifier la réponse et demander un renouvellement. Elle a peur et se rend en larmes à mon bureau. Je propose que l'on envoie ensemble un e-mail avec des documents prouvant son intégration et ses démarches.
Le jour de la date de péremption, nous retournons à la commune pour voir si nous pouvons effectuer le renouvellement. Là-bas, on nous indique un service et nous attendons plusieurs heures lorsqu’enfin arrive notre tour. On nous informe que la demande de renouvellement ne peut pas être introduite car le comité n’a pas encore remis sa réponse et nous ne sommes pas au bon guichet. Nous essayons d'expliquer que sans cette demande de renouvellement, Kenia ne pourra plus travailler et que c'est très angoissant. Peu importe, nous ne sommes pas au bon endroit, nous devons prendre un rendez-vous via Internet. La prochaine disponibilité n’est qu’à la mi-janvier. Ce n’est pas possible ! Que va-t-elle faire pendant deux mois ?
Le lendemain, Kenia, essaie d'être confiante et se rend à nouveau à la commune pour voir si la décision du comité est enfin arrivée : elle est négative et on ne lui propose pas une nouvelle carte de séjour. « Je me suis sentie rejetée. Parce que j'ai bien fait les choses, je pense que j'aide les personnes avec le yoga. Quand j'entends que je ne peux pas rester, je me sens rejetée et très triste… ». Heureusement, Kenia est motivée, pleine d'espoir et surtout, elle n'est pas seule. Entourée de sa maman, de son nouveau compagnon et des services compétents, elle n'a rien lâché.
Et finalement… c'est un déménagement qui l'a aidée ! Elle a informé la Commune qu'elle avait une nouvelle adresse avec sa mère. Ensuite, elle a relancé les démarches dans sa nouvelle commune de résidence. Kenia a ainsi pu obtenir, grâce à son dossier complet, une nouvelle carte orange pour une durée de six mois. Six mois où elle sera tranquille, elle pourra continuer à travailler, apprendre le français et suivre le parcours de primo-arrivant. « Je me sens confiante, je pense que ça va aller, que ça marche bien parce que je pense que j'ai tout fait correctement. Je pense que tout va bien maintenant. ».
Je reviens avec elle sur son ressenti de cette expérience à la commune, de tous ces allers-retours, ces longues heures d'attente... Kenia confie qu'elle « s'est sentie triste car elle (employée de la commune) n'avait pas d'empathie. Parce que c'est très difficile pour moi, je ne parle pas bien le français. Je suis là parce que j'ai besoin de ça, parce que je voudrais rester ici légalement. La personne doit améliorer son empathie. La première fois qu'on a reçu la carte orange, le monsieur était très gentil, si tout le monde travaille comme lui, ça marche très bien. Il me disait "tout va bien aujourd'hui", et maintenant moi et ma mère, tous les jours on dit "tout va bien aujourd'hui." ».